Ce voyage, organisé dans la suite du voyage à Lodz, avait donc aussi pour but initial d’étudier la motivation, tant des élèves que des professeurs, dans cette république balte. En effet, les résultats PISA ont démontré que les élèves estoniens avaient dépassé par leur résultats, les Finlandais. Nous nous sommes donc rendus aux confins de l’Estonie, à la frontière letonne, afin d’examiner les raisons de cela.
Plutôt que de faire une synthèse chronologique, nous ferons nos observations selon les items suivants :
Nous terminerons par une courte énumération des éléments qui nous paraissent importants à souligner en termes de motivation.
L’école obligatoire commence à six ans. Un système préscolaire prend en charge les enfants plus jeunes, parfois
dans la même école que le système obligatoire. De six à seize ans, les enfants restent ensemble dans le même
groupe « classe », avec les enfants de leur classe d’âge.
Il existe donc un tronc commun, sans redoublement (seul un très faible pourcentage de jeunes est invité à recommencer
une année - moins de 10%). A la fin de ce parcours, il existe pour les jeunes trois possibilités : poursuivre au
gymnasium (secondaire supérieur qui conduit à l’université), dans une école technique (avec aussi un accès à
l’université , mais – de 10% s’y essaient) ou aller travailler
Les bâtiments que nous avons visités sont ou paraissent neufs (financés par l’UE), mais en fait ils sont très propres. Les couloirs sont vastes, des jeux y sont à disposition, les murs sont décorés d’œuvres d’art, on voit fréquemment de jolies plantes, et un peu partout, des bancs pour s’asseoir.
La qualité des infrastructures est en gros contraste avec les habitations que l’on trouve aux alentours des écoles.
On constate aussi que les écoles sont fières de leur histoire, les traces de leur histoire sont mises en valeur de
manière très marquée. Le niveau global de l’équipement des écoles est impressionnant (caméras, technologie,
sonorisation..., outils numériques).
Très souvent le mobilier est très « design » et astucieux. Partout une sensation d’espace : les élèves déambulent
sans problème. Le nombre d’élèves par classe peut atteindre 24, mais nous avons rarement vu une classe avec plus de
14 élèves.
Il n’y a pas d’éducateur et donc pas de « surveillance ». Un élément apparaît très important : tous les professeurs
ont sur les élèves un regard BIENVEILLANT.
Le décrochage existe, mais il se situe après 16 ans, lorsqu’il n’y a plus d’obligation scolaire (compulsory school).
Dans l’école professionnelle que nous avons visitée, après deux mois, 20% des jeunes avaient « décroché ».
Il y a une réunion de parents par an (obligatoire, si parents absents, ils risquent un PV de la police !), pour le reste, tous les résultats de leur enfant sont consultables sur le site web de l’école.
Les matières sont autant cognitives que manuelles, avec de la musique aussi. Cet intérêt pour le domaine artistique se poursuit dans l’enseignement secondaire supérieur. Des éléments de leur coutume et de leurs traditions sont aussi au programme.
La pédagogie est ouverte, responsabilisante, et par projet. Les élèves aiment à s’engager dans un projet pour… et pas un projet pour le projet. On ne parle pas ici de « situation problème » artificielle, prévisible et pour tout dire… ridicule, mais de vrais enjeux. Exemple, un magazine que les élèves vont éditer de manière professionnelle, et mettre en vente dans un marché réel.
Les enseignants prônent une approche responsabilisante, et donc renvoient les questions et responsabilités au groupe-classe, qui forcément détiendra une solution. L’enseignant retrouve donc une posture d’adulte qui met des balises, incite à la réflexion, mais ne conseille pas et ne prendra pas les décisions. L’élève est donc vraiment au centre des apprentissages, il apprend les choses… en les faisant, comme un certain forgeron…, et non en étudiant la théorie sur la fusion des métaux avant d’apprendre à forger…
Respects, paisibilité dans les classes et en dehors. Pas de concurrence, mais de la collaboration. La première
remédiation est celle que les élèves organisent pour eux-mêmes. Il y a donc des évaluations, et surtout des
auto-évaluations, des « programmes » sans qu’il y ait des programmes.
Dans le tronc commun, chaque cours de 45 minutes est suivi d’une pause de 10 minutes.
Beaucoup moins de temps est consacré aux évaluations. De plus, la certification finale, tant au terme du tronc commun qu’au terme de l’enseignement secondaire supérieur consiste en un nombre limité de matières à présenter : estonien, anglais ou autre Langue 1 (russe ou allemand), mathématiques, et… une matière au choix.
A la fin du tronc commun, on demande également aux élèves de présenter un travail (5 ou 6 pages) sur un sujet qui les motive. Ils doivent présenter ce travail.
Au terme du secondaire supérieur, c’est le même principe qui prévaut, le travail dans ce cas est un peu plus long.
Par contre, pour choisir son école secondaire supérieure, ou son université par la suite, il faut obtenir de bons résultats et c’est sur base de la candidature et des résultats antérieurs que les élèves/étudiants seront admis ou pas. Ceci modifie considérablement la donne…, puisque la motivation n’est pas de « réussir » (= 50% ????, mais quelles sont nos chances ultérieures avec 50% ???), mais d’avoir les meilleurs résultats possibles pour avoir la chance d’accéder aux études dont on rêve…
Autre aspect intéressant, on s’attache, au-delà des résultats aux matières, à des compétences transversales tellement plus importantes que « les points » telles que :
Tout ceci, dans un contexte où l’on est attentif à la culture et à l’environnement.
Dès la première visite d’école, le sentiment d’appartenance et d’attachement à l’établissement scolaire s’est manifesté très fortement, tant dans le chef des élèves que dans le chef des enseignants. On sentait à la fois de la fierté et de la modestie.
Dans chaque établissement visité, ce sont les jeunes qui nous ont servi de guide, parfois de jeunes enfants. Ce sont eux qui nous ont expliqué l’école, nous ont guidé, et ont répondu à nos questions. Partout nous avons vu des adultes qui s’effaçaient pour valoriser les jeunes.
Partout nous avons pu constater que tant les enseignants que les élèves maîtrisent l’anglais. Beaucoup de jeunes, parfois âgés de 10 ou 11 ans seulement, sont déjà fluides en anglais, et parviennent à se faire comprendre parfaitement.
Nous n’avons rien vu d’extraordinaire en termes d’approche pédagogique. Par contre, le tronc commun et le non-redoublement sont les clés d’une vraie réforme. Ce voyage valide à nos yeux l’idée que le tronc commun est une voie qui peut fonctionner, pour autant que l’on parte vraiment d’une page blanche en répondant à la question : que veut-on vraiment pour nos jeunes en termes de savoir-être et de compétences à acquérir, sans mettre le focus à tout prix sur des matières à enseigner.
Thomas Debrux, Luc Degrande