La réflexion est partie du point suivant : nous savons tous qu'un des dommages collatéraux du redoublement est qu'à mesure que l'on avance dans les années scolaires, les classes se gonflent d'élèves qui ont doublé, une, deux, parfois 3 fois, et que leur proportion dans les classes constitue un noyau dur, lequel finit par paralyser toute la classe. A l'âge de 15 ans, un jeune sur deux a déjà doublé au moins un an dans notre système scolaire.
La conséquence est que certaines classes deviennent impossibles à gérer, puisqu'une proportion importante d'élèves y est en guerre contre l'école, ne veut plus travailler et empêche les professeurs de faire leur métier et les autres élèves d'apprendre. Or, statistiquement, à l'échelon de la FWB, le redoublement et la réorientation forcée restent, par la force des choses, les approches privilégiées pour tenter de prendre en charge les élèves qui ont des difficultés scolaires.
Jusqu'il y a encore quelques années, la peur de l'échec était le "ciment" qui maintenait ce système en place et permettait « de faire travailler les élèves ». Cela, c'était avant, car cela ne tient plus que pour ceux qui de toute manière travaillent et n'ont pas de soucis. Pour reprendre une métaphore bien connue, pour beaucoup de jeunes, il n’y a plus « ni carotte, ni bâton ».
Une politique de non-redoublement en première année, telle que nous la connaissons, c’est-à-dire imposée purement et simplement aux écoles et en déconnection totale avec le fonctionnement de la société, ne peut avoir pour effet qu'une aggravation de la situation, car usés par tant de réformes et de contre-réformes, les enseignants qui doivent mettre en œuvre ces politiques, n’y croient plus, sont perdus. Et pour tous les élèves qui ne sont pas naturellement portés par une motivation intrinsèque forte, c’est une brèche béante dans laquelle ils se sont engouffrés massivement. Aussi, nous sommes aujourd'hui, à l'échelle du système scolaire, en FWB, dans une impasse totale, "dans le mur".
Pour sortir de cette impasse, il faut, à mon sens, partir d'une question simple : comment se fait-il que tous ces enfants qui ont pris naguère des risques physiques pour apprendre à marcher, se sont dépassés pour apprendre à parler, entrer en communication avec leur entourage, peu à peu se sont éteints avant de devenir des élèves passifs, résignés, puis rebelles et saboteurs, au point de petit à petit paralyser tout un système et à le rendre inopérant ? Qu'est-ce qui s'est perdu en cours de route ? La réponse à ces questions revient à se demander ce qu'il faut faire pour "(re)motiver les élèves". Et donc, dans les pays où cela fonctionne, aller voir comment les enseignants s’y prennent, comment ils se mobilisent pour relever ce défi.
D'autres pays que le nôtre étaient dans la même situation que nous il n'y a pas si longtemps. C'est notamment le cas de la Pologne, qui il y a quinze ans, était au même niveau que nous, mais apparaît aujourd'hui dans le top 10 mondial pour les performances des élèves en sciences, et dans le top 15 mondial pour les performances des élèves en maths et en lecture. Mieux, en 15 ans, la Pologne est parvenue à élever un peu le niveau des meilleurs élèves, tout en diminuant de moitié les écarts entre les meilleurs et les moins bons, et en réduisant de moitié les écarts de performances entre les écoles. En somme, hausse spectaculaire des résultats et réduction tout aussi spectaculaire des inégalités.
Nous avons donc pris part à ce projet pour rencontrer divers acteurs, professeurs directions, étudiants, élèves, formateurs, etc, observer leurs pratiques, écouter leurs explications, et voici ce que nous en tirons :
Il s'agit ici d'un témoignage, sur base de ce que nous avons vu, entendu, et de quelques lectures, et je n'ai pas la prétention µ de donner une portée "scientifique" à mon propos, mon seul objectif ici, étant de vous partager ce que nous avons vu afin d'alimenter la réflexion en vue de la réécriture de notre projet d’établissement.
Il y a un tronc commun, d’une durée de 9 ans. C’est l’instituteur qui accompagne sa classe durant les 3 premières années. A partir de la quatrième année primaire, des spécialités telles que « la nature », « l’histoire », « la biologie », « la géographie » viennent s’ajouter et ce sont des professeurs spécifiques qui vont dispenser ces cours. Le tronc commun dure neuf ans et se termine par une certification. Il est à noter que les cahiers des élèves que nous avons pu parcourir montrent que les enfants disposent de manuels et de cahiers, qu’ils écrivent tout (pas de feuilles volantes, de copies….). Il y a du travail à domicile chaque jour et chaque semaine, les enseignants se concertent pour coordonner le travail.
Au terme du tronc commun, l'élève va s'inscrire par voie informatique dans 3 écoles de son choix, mais ce sont ses résultats qui détermineront l'école secondaire supérieure (gymnasium) de son choix à 16 ans. Autrement dit, l'évaluation n'est pas du type "je passe parce que j'ai 50%), mais me tire vers le haut : pour atteindre mon objectif, il faut que j'obtienne les meilleurs points possibles.
Il y a une certification chaque année dans un système d'évaluation qui va de 1 à 5, (5 = 5 TB), mais il y a aussi un 6 parfois, pour un élève qui en plus de bien travailler, apporte un plus à l'école, rend des services tels que (et nous l'avons vécu) faire une présentation du mode de fonctionnement de l'école pour des visiteurs étrangers ... en français. Il n’y a qu’une cote négative, c’est le 1 qui est un « insuffisant ». Comme déjà vu en Finlande, on ne « mesure pas médiocrité ».
Le redoublement est rarissime. Dans une des écoles visitées, il y avait eu un redoublement en 10 ans, dans une autre un redoublement en 5 ans… La remédiation se fait au maximum en classe, et n’est externalisée que lorsque tout à été fait en classe (condisciples, enseignant) pour tenter d’aider l’élève.
Tous les enseignants, à quelque niveau qu’ils enseignent, ont fait un master (5 ans) et sont passés lors de leurs stages par toutes les cases (début du primaire, fin du primaire, gymnasium…), et ont ensuite choisi la tranche d’âge avec laquelle ils se sentaient le mieux. Mais ils ont une formation commune, un bagage et un langage commun.
Il n’y a pas d’éducateurs, pas de salle d’étude, et jamais les élèves ne sont livrés à eux-mêmes ou laissés à rien faire. En cas d’absence d’un enseignant, sa charge est répartie entre ses différents collègues, qui sont payés pour le surcroît de travail. Une comptabilisation des heures prestées par chaque enseignant est faite sur une base trisannuelle, et l’enseignant qui n’a pas presté son quota d’heures à cause de ses absences doit récupérer ses heures dans les délais qui lui sont impartis.
Il y a par contre un « préfet des études » qui assiste les élèves en difficulté d’apprentissage, c’est un spécialiste en pédagogie, il diagnostique les difficultés, oriente vers les personnes adéquates pour aider l’élève, etc. Les soucis d’absentéisme, de discipline, et d’apprentissages sont du ressort du titulaire de classe, qui est responsable de sa classe de A à Z. Le titulaire gère tous les contacts avec les parents, chaque mois, il y a une rencontre avec les parents (ceci vaut aussi, mais à la demande pour les professeurs non-titulaires), et ce même si les bulletins sont électroniques. La fonction de titulaire est reconnue et valorisée, et il y a un supplément de salaire pour ce travail.
L'école est inspectée par un "curator" qui pratique une forme d'audit à l'échelon de l'établissement.
Le salaire de base d'un enseignant est un des plus bas en Europe, et dépasse à peine la moitié du salaire moyen en Pologne. Néanmoins, les enseignants sont libres de leurs méthodes d'enseignement, et ceux qui font ce métier, mal payé, semblent portés par une vraie et forte motivation.
Voici quelques éléments relevés à plusieurs reprises auprès des enseignants
Nous avons rencontré des jeunes très mûrs, très bien élevés, et surtout très conscients des enjeux économiques et sociaux. Ils ont pleine conscience de l'isolement linguistique de la Pologne et savent que l'apprentissage des langues est pour eux la clé de la réussite de leurs études et de leur vie professionnelle. Pour eux, apprendre l'anglais n'est pas un atout : c'est un prérequis incontournable. La question, pour eux, est d'apprendre de manière performante d'autres langues (français, russe, allemand, italien, espagnol) ainsi qu'une spécialité (droit, médecine…) pour se faire une place au soleil et on sent leur motivation très forte. On peut dire sans crainte qu'ils sont bilingues en anglais, et le parlent de manière naturelle et très fluide. Ils ont deux heures d'anglais par semaine dès la première primaire. Pour eux, parler 3 langues, c’est l’assurance d’avoir un bon emploi en Pologne (pas nécessairement à l’étranger).
Ils savent que les langues, c'est la possibilité de futures mobilités, qui feront la différence dans leur vie personnelle, dans la réussite de leurs études, et sur leur CV. Ils visent une double diplomation et savent que s'ils ne trouvent pas de travail rapidement dans leur pays, grâce aux langues, ils en trouveront ailleurs et sont prêts à le faire. Le taux de chômage fluctue entre 5 et 8%.
Un voyage d’étude très dense. Nous avons visité des écoles primaires, secondaires, mais aussi un centre de formation accélérée pour adultes qui organise un enseignement en alternance pour adultes, dispensé par des entreprises qui recrutent. Nous avons aussi visité une université qui nous a parlé de la formation initiale des enseignants et de ce qui est mis en place pour attirer des étudiants étrangers (double diplomation) et faciliter la mobilité des jeunes polonais. Nous avons participé à une soirée de l’Alliance française, où nous avons eu chacun l’occasion de présenter notre vision de la culture belge aux amis polonais. Un voyage qui nous a montré un pays, des enseignants et des jeunes qui veulent « y aller », et qui « y vont »….. Très inspirant.
Luc Degrande